La viticulture

Publié le par MClaude

La viticulture

Point de vue sur la viticulture en Anjou (et en France)de M. Robert de Grandmaison, Conseiller Général.

Discours prononcé au Comice Agricole de Montreuil Bellay le Dimanche 9 Septembre 1923 (L’Echo Saumurois du 15 Septembre 1923).

Le temps est passé, 93 ans. Les problèmes étaient les mêmes, concurrence avec les vins étrangers....

J'aime l'allusion à la prohibition aux Etats-Unis et la description "de nos gars d'Anjou". Qu'en pensaient-ils en écoutant ces paroles ?

" Mes Chers Amis,

Je tiens, tout d'abord, à présenter mes excuses aux personnes, qui ont assisté tout à l'heure au banquet, car si au cours de ma petite causerie je les ai entretenues de quelques-unes des principales questions agricoles à l'ordre du jour, je ne leur ai pas parlé de toutes celles qui sont relatives à la viticulture.

J'estime que, dans nos pays, pour parler avec vénération de ce produit merveilleux qui est le vin, c'est comme pour en boire, il faut être le plus nombreux possible! Aussi, j'ai tenu à réserver la question viticole pour la distribution des récompenses.

La viticulture Angevine traverse actuellement une crise de surproduction. L'année 1922 fut, pour le vin, d'une exceptionnelle abondance, puisque la vendange de 1922 a été de trois fois supérieure à celle de 1921. Il est résulté qu'un grand nombre de propriétaires n'ont pas vendu ou ont vendu à des prix couvrant à peine le prix de revient. Chacun d'entre vous doit bien comprendre que l'abaissement exagéré du prix du vin nuit non seulement aux intérêts des viticulteurs, mais aussi à ceux des commerçants, puisqu'il réduit la capacité d'achat des producteurs. Quelles sont les principales causes de la difficulté de vente du vin et quels sont les remèdes à y apporter, voilà ce qu'en quelques phrases, je voudrais essayer de dégager devant vous.

1) En ce qui concerne les pays étrangers.

a) Importation des vins étrangers.

L'insuffisance de la protection douanière permet à des vins étrangers de concurrencer les vins de France sur notre propre marché. C'est ainsi, par exemple, que l'Espagne importe chaque année en France plus d'un million d'hectolitres de vin. Le gouvernement Français ne veut pas imposer un droit très élevé à l'entrée des vins étrangers pour ne pas froisser les susceptibilités des autres pays viticoles. Nous n'ignorons pas que les conventions commerciales entre Nations se font au moyen de concessions réciproques, mais nous en avons assez de voir constamment les intérêts des viticulteurs Français servir de monnaie d'échange dans les tractations diplomatiques.

b) Exportation de nos vins.

De trop nombreux pays étrangers sont soumis au régime sec, et, cette nouvelle religion semble devoir recruter de nouveaux Etats néophytes. D'autres nations imposent à nos vins des tarifs prohibitifs ou très élevés. L'exportation devient de plus en plus difficile.

Pensez, Messieurs, qu'il existe des pays (comme les Etats-Unis) ou il est interdit de consommer une boisson pesant plus d'un demi degré d'alcool! et où le vin est considéré comme un produit nocif ! un poison dangereux !

Si je pouvais saisir un de ces farouches prohibitionnistes, je voudrais le conduire ici à la place d'où je vous parle et je lui dirais :

Regardez tous ces gars d'Anjou; ils sont solides; ils ont l'esprit calme et résolu, agrémenté de cette bonne humeur, qui est un des signes incontestables de la santé. Regardez les figures de ces braves cultivateurs ; elles respirent la bonté en même temps que l'intelligente activité. Ni chez les uns ni chez les autres, Monsieur l'Américain prohibitionniste, vous ne trouverez les tares de dégénérescence,que vous attribuez à tort à ceux qui apprécient une des meilleures créatures de Dieu, le jus clair des grappes dorées de nos coteaux !

J'en appelle au témoignage de tous les anciens poilus ; un des facteurs essentiels de la victoire, ne fut-il pas le Pinard, qui, même aux heures les plus tristes de la Guerre, entretenait le moral du combattant, réconfortait ses membres engourdis et reconstituait ses forces physiques et intellectuelles.

La vérité, Messieurs, c'est que tous ces peuples se servent de l'action soit disant funeste du vin, comme d'un prétexte, qu'ils se préoccupent, avant tout, de maintenir le change le plus élevé possible et qu'ils craignent qu'en achetant des vins étrangers, cette importation n'influence défavorablement la balance commerciale de leur pays.

Pour organiser méthodiquement l'exportation de nos vins, nous n'avons qu'à suivre les exemples des autres nations viticoles du monde. L'Espagne, le Portugal, la Grèce, la Hongrie et l'Italie ont conçu et réalisé de véritables plans de campagne, qui leur donnent des résultats merveilleux, puisque le Portugal exporte 46 0/0 de sa production viticole, alors que la France n’en exporte qu'i 6 0/0.

Le Ministre de l'agriculture, M. Chéron, a fait, il y a trois semaines, à Baugé, l'éloge du vin d'Anjou. Nous savons qu'il est un homme d'action et c'est, parce que nous avons confiance en son dévouement à la cause viticole, que nous espérons que, lors du renouvellement des accords commerciaux, il fera entendre dans les Conseils du Gouvernement, les énergiques revendications des viticulteurs Français.

2) En ce qui concerne l'intérieur du Pays:

Différentes mesures législatives et gouvernementales, notamment la réduction des droits de circulation et des tarifs de transport, faciliteraient l'accroissement de la consommation Française de nos vins.

a) Par la réduction des droits de circulation.

Avant la guerre le droit de circulation des vins était de 1 franc 50 par hectolitre; depuis la loi du 28 février 1923, il est de 15 frs. Evidemment, en raison des difficultés budgétaires tous les impôts ont augmenté dans une effrayante proportion, mais je ne crois pas qu'il en existe d'autres qui soit dix fois plus important que celui d'avant guerre. N'est-il pas injuste que le droit de circulation soit, tous les ans le même quelle que soit la valeur du vin. Si le droit de circulation des vins était fixé, chaque année, par la loi de finances d'après la moyenne des cours, en raison de l'abaissement des prix du vin, le droit de circulation actuel ne devrait pas excéder 5 francs par hectolitre.

b) Par la réduction des tarifs de transport.

Les tarifs actuels de transport des vins par chemin de fer sont aussi une des causes de la cherté de la vie et toutes les statistiques plus ou moins fantaisistes publiées par les grandes compagnies de chemin de fer ne nous persuaderont jamais du contraire.

Quelle histoire, Messieurs, que cet abaissement des tarifs de transport des vins. A deux reprises le Conseil supérieur des Chemins de fer s'est prononcé, à une forte majorité, contre la réduction des tarifs. Le conseil des Ministres, sur l'énergique intervention de M. Chéron, a passé outre, mais il a choisi une solution intermédiaire : le tarif saisonnier, dont l'application cessera au 15 décembre. Ce nouveau tarif, nous devons demander son extension à toute l'année, car il est inadmissible que, sous forme de réduction périodique de tarif, l'Etat oblige indirectement les viticulteurs à vendre leur vin dans une saison déterminée. Nous voulons vendre nos produits quand il nous plaît, et nous n'accepterons jamais d'avoir la main forcée par le gouvernement pour les dates de livraison des vins.

Je ne veux pas terminer cette longue causerie, sans vous dire un mot de la nouvelle loi sur les bouilleurs de cru.

Au cours de la session de septembre 1922 du Conseil Général, j'ai pris l'initiative de demander à cette assemblée de voter différents vœux demandant l'extension à tous les exploitants de l'allocation en franchise des dix litres d'alcool pur, ainsi que la possibilité pour tous les exploitants de distiller à domicile.

a) Ces deux vœux ont été réalisés par la loi du 28 février 1923, qui décide que tout exploitant (propriétaire, fermier, métayer ou vigneron) distillant ou faisant distiller exclusivement les produits de sa récolte, a droit à la franchise de dix litres d'alcool pur par campagne.

b) Cette même loi stipule que l'exploitant pourra, à son gré, distiller soit à l'atelier publique, soit à son domicile, quelle que soit la quantité l'alcool à produire. Toutefois, et, c'est contre cette restriction que nous nous élevons, l'exploitant ne pourra distiller que dans les périodes fixées par le Juge de Paix après entente avec Messieurs les Maires et variables suivant les communes. C'est ainsi que, pour notre canton, dans la ville de Montreuil-Bellay, on peut distiller à n'importe quel moment de l'année, parce que le Service y réside; au contraire les habitants des autres communes ne peuvent distiller que dix jours par mois.

Cette interdiction de distiller en dehors des périodes est défavorable aux intérêts des viticulteurs et des bouilleurs.

Aussi, au cours de la session d'avril 1923 du Conseil Général, j'ai fait adopter, par cette assemblée, le vœu suivant:

« Le Conseil Général de Maine-et-Loire considérant que la fixation de périodes de distillation apportera de la gêne dans les travaux des producteurs, risquera d'entraîner la perte des matières à distiller et amènera du chômage chez les bouilleurs de profession, émet le vœu que les bouilleurs de cru et de profession aient la possibilité de distiller en tout temps, sauf le cas où le Maire, pour raison d'hygiène, y verrait un inconvénient, surtout au moment des grandes chaleurs. »

Les pouvoirs publics ne sauraient trop encourager la distillation, car elle est la soupape de sûreté de la production viticole, dans les périodes de gros.

De plus, nous estimons que la libre disposition des produits du sol fait partie du droit même de la propriété. Chaque viticulteur devrait être libre de fabriquer n'importe quelle quantité d'alcool, sans avoir de compte à rendre à l'Etat, tant qu'il ne le ferait pas sortir de chez lui dans un but commercial.

Tel est le résultat que nous voulons atteindre et pour lequel, nous combattons dans nos assemblées respectives, certains qu'en agissant ainsi, nous nous faisons les défenseurs des principes sacrés de la propriété et de la liberté!

En terminant, Messieurs les Agriculteurs et Viticulteurs, je tiens à vous assurer de l'entier dévouement de ceux que vous avez chargés de vous représenter. Ne craignez jamais de nous importuner, en venant nous entretenir de toutes les questions qui peuvent vous intéresser. Toutes vos suggestions, toutes vos idées nous sont précieuses. Les élus à tous les degrés ne demandent qu'à vous rendre service, et à faire tout ce qui leur est pos-sible pour défendre vos intérêts et soutenir vos revendications.

Vive le Comice de l'arrondissement de Saumur !

Vive le Canton de Montreuil-Bellay ! "

Publié dans Chroniques

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