La fête de l'Adoration - Bagneux

Publié le par MClaude

 

Voici un manifestation particulière qui a eu lieu à Bagneux, le 21 Décembre 1856.

"Le village de Bagneux s'élève le long de l'ancien chemin, sur la rive gauche et au bord du Thouet. Derrière vers Ouest, passe la route  nationale de Saumur aux Sables, sur laquelle s'alignent les maisons du Pont-Fouchard, véritable faubourg de Saumur, construit depuis 1825 et qu'une loi du 20 Avril 1854 a distrait de la commune de Saint-Hilaire Saint-Florent. La plupart des habitants sont ouvriers ou viticulteurs.

La paroisse, fondée au moins dès le XIè siècle, dépendait d'un prieuré-curé de chanoines réguliers de la Trinité de Mauléon.Supprimée à la Révolution, elle relevait pour le spirituel de Saint-Hilaire Saint Florent. Erigée de nouveau en 1850 avec presbytère acquis en 1848 par la commune, elle n'avait à son service qu'une étroite église restaurée dès 1849 et agrandie en 1851 par la construction d'un porche fermé, devenue absolument insuffisante par le développement subit de la population.

En 1856, la commune comptait 923 habitants."

Source : Dictionnaire historique, Célestin Port

CHRONIQUE LOCALE.
On nous adresse l'article suivant :
Saumur, le 22 décembre 1856.
Que les fêtes inspirées par la Religion sont belles, et comme elles parlent doucement au cœur ! C'était le sentiment qu'exprimaient plusieurs et que tous éprouvaient hier dans la petite paroisse de Bagneux près Saumur. On y célébrait la fête de l'Adoration perpétuelle, de cette belle dévotion, dont le zèle pieux et éclairé du premier Pasteur a si heureusement doté le diocèse d'Angers. Au récit bien des fois répété des prodiges qu'enfante partout sur son passage cette touchante cérémonie, le bon Curé de Bagneux s’était senti pris au cœur d’une pieuse envie ; il s’était dit : Bagneux , lui aussi, aura sa fête. Et Mgr l'Evêque, bien dévoué à tout son diocèse, mais, nous oserons le redire après lui, dévoué tout particulièrement au Saumurois, s'était empressé de répondre à l'appel du bon Curé en venant présider lui-même les exercices de l'Adoration. Déjà, depuis plusieurs semaines, un zélé missionnaire, cher à toute cette contrée, de sa main sûre et infatigable remuait ce sol encore un peu ingrat ; et une communion générale, prémices de ses sueurs, avait été indiquée pour la visite du Prélat.
Dès le matin, la petite église de Bagneux se trouvait envahie, et à voir le recueillement de toute cette foule il était aisé de comprendre qu'un autre motif que la curiosité l'avait amenée. Comment du reste en douter encore, quand, au moment de la communion, on vit tous les assistants, hommes et femmes, mêlés sans trop d'inégalité, s'avancer pieusement vers la table sainte et, pendant longtemps, recevoir tour à tour des mains de Mgr ce pain de vie, pour plusieurs, hélas ! si nouveau. Aussi le Prélat, visiblement attendri, ne put s'empêcher d'exprimer à ces braves gens par quelques bonnes paroles toute sa joie et sa consolation.
Pendant toute la journée, dans les offices surtout, l'ardeur ne se ralentit pas, et quand, à la grand'messe, Mgr, du haut de la chaire, voulut bien adresser quelques-uns de ces avis pleins de tendresse et d'à-propos, comme il sait si bien en trouver dans son cœur, ses paroles ne tombèrent point dans le vide; ajoutons qu'elles ne tombèrent point sans fruit ; nous en avons pour garants les larmes qui s'échappèrent de bien des yeux.
Mais, nous avons hâte d'arriver au couronnement de cette belle fête, parce qu'il nous semble la mesure de l'impression profonde qu'elle a produite. Laissons donc cette foule plus pressée que jamais à la cérémonie du soir; laissons, à notre grand regret, cette instruction du bon missionnaire, où, avec un ton de conviction et d'assurance qui lui allait si bien en ce moment, il rappelle, il apprend peut-être à ce pauvre peuple ce qu'est le prêtre aux yeux de la foi, l'homme de la prière et du sacrifice, Jésus-Christ lui-même.
Après ces paroles fécondes, après le salut solennel et l'amende honorable qui les suivirent, tout semblait terminé, et Mgr lui-même ne songeait qu'à retourner à Saumur. Mais une agréable et délicate surprise lui était ménagée. Tout-à-coup des champs vigoureux s'élèvent, les portes de l’église s’ouvrent et laissent apercevoir mille lanternes vénitiennes déroulant en festons les couleurs les plus variées. En même temps toute la foule s'ébranle, des torches s'illuminent comme par enchantement, et alors commence aux flambeaux une procession nocturne comme on en trouverait peu. Bagneux tout entier s'était levé en masse ; nombre des habitants de Saumur étaient accourus, eux aussi, et tous, ivres de bonheur, agitant leurs torches et faisant au loin retentir les airs de leurs chants sacrés, protestaient ainsi que de ce jour la Religion avait pris possession de Bagneux. Au milieu de cette marche triomphale, le vénérable Prélat s'avançait entouré de tout le clergé de Saumur et des environs, et des autorités municipales de Bagneux. Rempli d'une douce émotion, il serrait la main d'un homme dont nous n'avons point parlé jusqu'ici, par respect pour une grande douleur, mais que tout le monde nommait en ce moment comme l'âme invisible mais nécessaire de cette belle cérémonie.
Arrivés sur la grande route, on interrompt les cantiques, on se presse autour de Mgr et, sur la prière du bon curé, Sa Grandeur donne à tout ce peuple une dernière et solennelle bénédiction. Qu'il était beau ce spectacle! Au milieu de la nuit, à la lueur des torches et d'un magnifique feu de bengale qui éclairait tout le ciel d'une teinte rougeâtre, un saint Evêque promenant sa main chargée de bénédictions sur une foule immense, silencieuse, à genoux sur la terre humide d'une grande route, et cela aux portes de Saumur, dans cette contrée où tant de sueurs et de vertus semblent encore attendre leurs premiers fruits! La bénédiction est donnée, les feux se sont éteints, plus éphémères que le souvenir de cette fête. Tous les sentiments alors se traduisent par un seul cri : Vive Monseigneur !
Puis, au moment où il faut enfin se séparer (charmante et naïve scène que nous nous reprocherions d'omettre), on voit une vieille femme s'avancer en balbutiant quelques paroles que l'émotion étouffe ; elle tend à Mgr une main tremblante que le Prélat accepte en souriant ; et soudain vous eussiez vu mille mains s'avancer toutes ensemble et le bon Evêque les presser tour à tour avec effusion.
On arrivait à Saumur ; les rangs s'ouvrirent enfin et tous ces braves gens se retirèrent bien à regret jetant un dernier cri, un dernier regard d'adieu et de remerciement vers le Prélat qui venait de laisser à Bagneux un souvenir ineffaçable, une bénédiction qui ne saurait rester stérile.
J.-A. P.

L'Echo Saumurois du 25/12/1856

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